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La décolonisation
Le XXe : un siècle trop court pour une trop rapide décolonisation ?
Pour maints historiens et chroniqueurs, ce siècle n’aurait duré que le temps d’une vie humaine : 75 ans, du début de la première guerre mondiale, en 1914, à la chute du mur de Berlin, en 1989. Auparavant, la Belle Epoque du début du siècle n’aurait fait que prolonger un long XIXe, marqué par l’essor de la bourgeoisie sortie gagnante des révolutions sociales et économiques jusqu’à la rupture de la première guerre mondiale. Après 1989, nous sommes entrés dans le siècle de la mondialisation sous l’hégémonie d’une seule superpuissance.
La décolonisation
L’histoire et l’avenir de la décolonisation se situent dans l’évolution qui vient d’être décrite. Elle commence à la fin du court XVIIIe siècle (du décès de Louis XIV et de la fin des absolutismes de droit divin à la Révolution Française) par l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, suivie rapidement par celle des pays latino- américains. En résultent, non pas de rémanentes rancunes contre les anciens dominateurs, mais les trois solidarités issues de la communauté des langues: l’anglo-saxonne, l’hispanique et la portugaise, qui recoupent avec la francophonie et le sionisme les catégories « civilisationnelles » de Huttington. Ces premières décolonisations consolident contradictoirement des colonisations réalisées au prix de l’élimination des cultures autochtones
Le Président Wilson, les Indépendances consuelles et les Mandats
Ainsi le premier message du Président Wilson (1913) et ses Quatorze Points (1918), dont le cinquième prévoyait le règlement consensuel entre administrants et administrés des problèmes coloniaux, suivirent de près la relégation dans des Réserves des derniers Indiens survivants de la conquête de l’Ouest (1890). La contradiction échappait au Président. Pour lui, les idées des Philanthropes et Humanitaristes de la fin du XVIIIe siècle, qui avaient inspiré la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, étaient inhérentes à la culture américaine, qui pouvait s’affirmer comme exclusive dans son Nouveau Monde dès lors que le problème des Indiens était réglé.
Entre-temps, d’ailleurs, les Britanniques n’avaient-ils pas forcé les Boers d’Afrique du Sud au Grand Trek en les obligeant à s’enfermer dans ces sortes de Réserves ethniques blanches que furent les Etats d’Orange et du Transvaal ?
La création des Mandats par la Société des Nations (1919) s’inscrivit donc dans le cadre des décolonisations consensuelles préconisées par le Président Wilson. Dans le dépeçage de l’empire ottoman, l’Egypte, l’Irak et la Syrie deviennent rapidement indépendantes de commun accord avec la puissance mandataire, la Grande-Bretagne, suivie plutôt de mauvais gré au Liban par la France, qui pressent le déclin de son influence dans les pays arabes.
Mais en Palestine, l’autodétermination n’est pas laissée aux Palestiniens : ils devront accepter l’établissement de vastes colonies juives et, à terme, la création d’un Etat d’Israël, et supporter ainsi les conséquences de la Shoah et de tous les antisémitismes d’Est et d’Ouest.
Aux débris de l’empire allemand en Afrique Noire, Togoland, Cameroun, Ruanda-Urundi, Afrique Orientale, Namibie, dont la maturité politique paraissait moins avancée, les mandataires auront pour tâche de les faire évoluer vers l’autodétermination.
L’absurdité déjà apparente au Moyen-Orient se confirme en Afrique lorsque les territoires sous mandat pourront être gouvernés en fait suivant les mêmes règles et par les mêmes administrations que les Colonies voisines, alors que leurs statuts juridiques et leurs destinées étaient en principe différents.
De la Charte de l’Atlantique à Bandoeng
Le mouvement se poursuit par la Charte anglo-américaine de l’Atlantique (1941), l’indépendance de l’Inde, de Ceylan et de la Birmanie négociées entre la Grande-Bretagne et ses colonies asiatiques, en dehors de tout règlement international sur le statut des territoires dépendants. Les obligations et le contrôle des mandataires sont simplement renforcés. En Afrique, le mandat est transformé en tutelle, ce qui en souligne le caractère temporaire, et l’obligation de mener rapidement les gouvernés à l’état adulte, alors que rien de semblable n’est prévu pour les colonies auxquelles ces territoires sont en fait rattachés. De là naîtra plus tard le problème de la Namibie que l’Afrique du Sud considérera comme relevant de sa souveraineté.
De la Charte de San Francisco sur les Droits de l’Homme, ne sortiront, comme on l’a vu, que des interprétations contradictoires : il en résulta, pour les pays occidentaux, l’obligation de poursuivre des politiques d’autodétermination, qui deviendront d’indépendance après la conférence des non alignés de Bandoeng (1955), et du côté soviétique le maintien et le renforcement de l’empire stalinien.
La France préférera aux indépendances consensuelles des accords d’ « association » avec le Vietnam, le Laos et le Cambodge et, à l’égard de l’Afrique Noire, la Conférence de Brazzaville annonciatrice d’une communauté franco- africaine : elle maintient ainsi une hégémonie dans son ancien empire colonial à ce qu’elle imagine être le moindre prix. Mais les Indépendances négociées suivant le schéma anglo-saxon se poursuivent au Soudan, en Jordanie, en Libye et dans la Corne de l’Afrique.
Les guerres d’indépendance, 1960 et le complexe anticolonialiste
Les attitudes réticentes des Pays-Bas et de la France provoquent les guerres d’indépendance de l’Indonésie, du Vietnam et d’Algérie. Bon gré, mal gré, et sous la pression de manifestations plus ou moins violentes, la France négocie avec le Maroc et la Tunisie, tandis que des processus pacifiques se poursuivent dans les colonies britanniques.
La Belgique veut demeurer à l’écart jusqu’en 1955, ne s’éveille au problème colonial qu’après Bandoeng, et s’engage jusqu’aux émeutes de 1959 dans une politique hésitante : de part et d’autre, entre Congolais et Belges, on parle d’autodétermination, de communauté belgo-congolaise autour de la personne du Roi Baudouin, avant que le mot « indépendance » ne soit prononcé par le Souverain belge. Indépendance ‘négociée’ lors des Tables Rondes, suivant la thèse belge, ‘conquise’ suivant les nationalistes congolais.
1960 sera l’année des indépendances en chaîne, négociées en général du côté britannique, accordées de plus ou moins bon gré par la France et la Belgique.
Conséquence : le complexe anticolonialiste se développera surtout dans ces deux pays, qui avaient cependant le plus œuvré en faveur des populations indigènes, tandis que ce traumatisme sera évité aux Anglais et à la communauté anglo-saxonne qui les avait éliminées en Amérique et en Australie : bonne conscience de leur côté, auto-culpabilisation de l’autre.
Le chaos qui s’ensuivit dans le Tiers-Monde et sa paupérisation furent le pendant du désordre des idées et de l’enrichissement anarchique des pays développés à la fin du court XXe siècle.
A lire sur le sujet :
Eric F. Hobsbawn, L’Age des Extrêmes – Histoire du XXe siècle
Samuel Huttington, Le Choc des Civilisations
Francis Fukuyama, la Fin de l’Histoire
Henri Grimal, La Décolonisation