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Lettre ouverte au maire de Bruxelles

9 juin, 2020 | URBA KBAU

Monsieur le Maire,

Mesdames et Messieurs les échevins et conseillers municipaux,

Pour des raisons apparemment plus liées à la situation aux Etats-Unis après les événements tragiques qui s’y sont déroulés, nous constatons qu’une pétition circule dans notre pays sans réel fondement ni nuances, partant d’un point de vue erroné : l’histoire commune du Congo belge appartient d’abord et avant tout aux Belges et aux Congolais.

Ce débat, qui nous semble relever avant tout de la responsabilité des citoyens et des dirigeants belges, nous tenons à le clarifier avant qu’il ne devienne la cible d’un discours « mondialiste » et idéologiquement marqué jusqu’à la caricature, sans la moindre considération ni le moindre respect de la réalité historique.

Cela a suscité une initiative citoyenne avec une contre-pétition, partagée par des Belges qui ne renient pas leur histoire, rappelant qu’un pays qui ne peut pas assumer son histoire ne peut pas exister.

Car en effet, la pétition demandant le retrait des statues de Léopold II invoquait essentiellement des fantasmes et non l’histoire[1].

L’historien Jean Luc Vellut, spécialiste reconnu de l’Afrique, a vivement critiqué l’ignorance en Belgique de l’histoire coloniale et de l’important chapitre belge de l’histoire de l’Afrique centrale. Cette ignorance a pour effet de maintenir le débat à un niveau désespérément polémique et moralisateur. Les progrès de la recherche scientifique dans différents domaines permettent aujourd’hui de mieux articuler les faits et de mieux éclairer la complexité de ce passé commun. Pendant ce temps, l’histoire coloniale belge reste truffée de « fake news ». Un autre historien, Guy Vanthemsche[2], démontre le caractère hautement hypothétique des taux de mortalité extraordinaires présentés ici comme des faits avérés, et s’attaque également à l’absurdité et à l’impropriété de la comparaison des pertes imputables à la conquête coloniale avec celles que les régimes totalitaires du 20e siècle ont délibérément planifiées. On pourrait aussi évoquer les terribles conséquences des guerres régionales et des zones d’insécurité chronique qui ravagent actuellement l’Afrique centrale, avec un nombre sans précédent de réfugiés et de personnes déplacées.

La Belgique de Léopold II, deuxième puissance industrielle d’Europe, a étendu son aura bien au-delà du Congo. S’attaquer à un tel symbole de l’Etat, sans débat démocratique et académique sur sa réalité historique, relève littéralement d’une action de « casse nationale ». Ce serait une grave erreur contre la Démocratie et la Nation que de voir des élus décider d’enlever la statue d’un Roi visionnaire et ambitieux, bien ancré dans son époque, sur la base d’une campagne médiatique virulente, ciblée et nourrie de fausses informations. On peut certes reprocher beaucoup de choses au Roi, mais en aucun cas celles d’avoir été un « génocidaire ».

Car c’est bien le roi Léopold II lui-même qui a mis en place une commission d’enquête internationale indépendante, dont les conclusions parfois sévères sur le sort réel des populations par rapport aux décrets et règlements, ont été intégralement publiées, et dont les nombreuses recommandations pour remédier aux abus ont toutes été mises en œuvre par de nouveaux décrets du roi.

Il n’y a pas d’ombre sans lumière, et tout n’est pas sombre dans ce passé colonial : y a-t-il un meilleur témoignage que celui de M. Patrice Lumumba, dans son livre « Le Congo Terre d’Avenir est-il menacé ? « page 20 : « En regardant le passé, en comparant l’homme noir de l’Etat Libre à l’homme noir de 1956, le Congo d’hier au Congo d’aujourd’hui, nous pouvons reconnaître avec confiance que la Belgique n’a pas failli à sa mission, et qu’à part quelques erreurs – erreurs inhérentes à toute action humaine – beaucoup de belles et grandes choses ont été réalisées et sont encore en cours de réalisation. « 

Méditons sur Albert Camus : « Il est bon qu’une nation soit assez forte de tradition et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier pourquoi elle peut encore avoir une haute opinion d’elle-même. En tout cas, il est dangereux de lui demander de s’avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence éternelle ».

On ne peut pas réécrire l’histoire. Devons-nous renoncer à notre fierté d’être Belge en acceptant que notre pays et notre monarchie soient constamment traînés dans la boue ? Faut-il accepter que notre pays et notre monarchie soient ainsi constamment mis au pilori sans aucun droit de défense ?

Alors luttons contre l’ignorance, enseignons l’histoire aux jeunes générations pour qu’elles puissent juger et critiquer par elles-mêmes ce qui doit être, pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs. Ce n’est certainement pas en supprimant les statues dans de telles circonstances, que l’on peut carrément qualifier d’obscurantistes, que l’on relèvera cet énorme défi.

Et, en tant que conseillers municipaux, ne serait-il pas urgent de créer également une commission d’enquête indépendante qui, malgré des lois et règlements bien intentionnés, mettrait à jour les pratiques discriminatoires quotidiennes que les diasporas subissent avec frustration à Bruxelles ?

Depuis des années, elles dénoncent à juste titre les nombreux obstacles effectifs qui continuent d’entraver leur désir de se sentir des citoyens à part entière dans notre pays. Et la mise en œuvre rapide de ses conclusions apporterait une contribution bien plus concrète et bénéfique à la cohésion sociale et à l’harmonie entre tous les citoyens qu’une démolition contentieuse d’un passé mal connu et enseigné sans nuances.

« Le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance, c’est la certitude » (Rachid Benzine).

Avec mes salutations distinguées,

Renier NIJSKENS, Président

Baudouin PEETERS, Administrateur délégué

Co-signataires :

Thierry CLAEYS BOUUAERT, président de l’asbl « Mémoires du Congo ».

Guido BOSTEELS, président de l’asbl « Afrikagetuigenissen ».

Jean-Paul ROUSSEAU, président du Cercle Royal Africain de Namur (CRNAA).

Philippe JACQUIJ, président de l’asbl  » Union Royale des Fraternelles Coloniales 1940-1945 « 

Fernand HESSEL, président de l’ASAOM

Claude GASTOUT, président du  » Cercle royal d’Afrique et d’Outre-mer  » (CRAOM)

Luc DENS, président de l’ASBL « AP-KDL », Amicale des pensionnés des réseaux ferroviaires Katanga-Dilolo-Léopoldville

André de MAERE d’AERTRYCKE et André SCHOROCHOFF, anciens présidents de KBUOL-UROME, Union Royale Belge pour l’Outre-Mer.

Général e.r. Claude PAELINCK, président du CRAOCA

Michel COURTIN, initiateur de la pétition pour la préservation des statues de Léopold II à Bruxelles

Stéphanie MBOMBO, présidente de HORIZON 2060 asbl.

[1] https://afrique.lalibre.be/33111/libre-opinion-leopold-ii-fantasmes-et-histoire/

[2] https://www.standaard.be/cnt/dmf20190222_04198722

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